Luc Eyriey, l’Homme-Chocolat
Mondialement reconnu, le chocolatier embrunais Luc Eyriey apprivoise les grands crus du chocolat. Un peu magicien, un brin chimiste, un tantinet artiste… le maître enchante les sens de ses associations exquises. Bienvenue dans l’univers à la fois naïf et sophistiqué d’un « minot » devenu charmeur de papilles.
Dans une autre vie, Luc Eyriey a dû être un grand maître Kiko, version japonaise du Qi gong. Avec sa haute stature, l’homme en veste noire, il est vrai, en impose. Sans pourtant être imposant. Au pays du Soleil Levant, dont il est grand amateur, le maître-chocolatier emprunte courtoisie et simplicité. En préambule, Monsieur Luc offre une bulle de chocolat blanc, délicatement saupoudrée de paillettes mordorées. La politesse prend des airs de pochette surprise… En bouche, le chocolat croustille astucieusement. Séduit les papilles, soudain surprises par les arômes acidulés d’une crème aux fruits aérienne. Les sens en font des entrechats… Une tradition dans une famille où l’on est charmeurs de papilles de père en fils : les Eyriey régalent les Embrunais depuis 1902, année de création de la boutique, devenue depuis un passage incontournable de la place Barthelon.
« La créativité n’est qu’une gymnastique »
La saga gourmande de cette longue lignée d’artisans débute avec l’arrière-grand père de Luc. Ce fils de sellier et d’une maman serveuse à Embrun, vendait des glaces à la sortie du cinéma. Son fils, le grand-père de Luc, apprendra la pâtisserie. « Il fabriquait des sorbet réputés avec du sel et de la neige dans cette baratte en bois », raconte Luc Eyriey en saisissant l’objet dans sa boutique-musée. Ses grands-parents vont« se saigner » pour que son père, André, fasse l’école des confiseurs de Bâle, « alors la meilleure au monde ». La boutique gagne en prestige et l’artisan en savoir. Un savoir qu’il va transmettre à son fils, l’initiant très tôt à l’excellence : « Il m’imposait de ne jamais faire deux fois la même chose. L’exercice est exigeant mais développe ce que les gens appellent la créativité, mais qui, en fait, n’est que de la gymnastique », résume l’élève devenu depuis un maître-chocolatier internationalement reconnu.Jonathan Guido, son jeune second, suit la même voie et doit innover en permanence. « Il faut que cela sorte naturellement et au bon moment, poursuit le chef. Cela demande de beaucoup travailler en amont, de créer en permanence, car ensuite, on n’a plus le temps de réfléchir. Je ne crois pas au don, mais au travail acharné ».
Jonathan, dit Jojo, chez les Eyriey depuis six ans, y est resté après son apprentissage. Du haut de ses 22 ans, ce petit-fils et fils de pâtissiers varsincs fait tourner la maison en l’absence de Luc. Mais « Si quelqu’un travaille ici le dimanche, c’est moi. Les apprentis ont une vie à préserver. Par contre, quand ils sont au travail, ils doivent y être à 100 % », précise le maître. Démonstration immédiate dans la cuisine pourtant exiguë de la pâtisserie, où l’on s’affaire dans la concentration et le calme. Une stagiaire japonaise, Yoshié -Petit Arbre Rouge en japonais-, vient compléter l’équipe. Et comme pour Luc, être capable ne suffit pas, Yoshiéest« hyper-capable ». Comme Marie-Claire, son épouse depuis 25 ans. Luc « ne sachant pas faire avec l’argent », c’est elle qui supervise les expéditions, les fournisseurs, qui jongle avec les pièces montées, les pâtisseries… Discrète, la petite fée du magasin trottine sur ses talons à la rencontre du client. Dans l’écrin de la boutique, même les emballages se font bijoux. Féminismes en rose dur et noir, noué façon lingerie fine à la Chantal Thomas, orientaux en organdi mordoré froissé, scientifiques en tube d’alchimiste….. Hyper - irrésistible.
De la ganache au citron du « Limoncello » -le préféré du chef- au « Marie-Claire », une ganache lactée de Madagascar aux accords de mandarine et de thym, en passant par « Les Baux », ganache noire Caraïbes constellée de paillettes roses, relevée de lavande et de pâte d’abricot, quelque 150 créations sont nées de l’esprit en permanente ébullition du chocolatier.Artiste autant que chimiste, protéines et autres lécithines n’ont pas de secret pour lui. Ainsi est né le « Xocopili », de petites billes de chocolat noir relevé de piments et d’épices. Le Xocopili remplace avantageusement la farine dans la liaison des sauces ou le bouillon pour la cuisson du poisson. Râpé, il transforme en poème la plus simple des salades tomates-mozza, réveille fraises au vinaigre et glaces à la vanille.
Ses pièces en chocolat sont exposées au musée de Tokyo
A son tour, Luc Eyriey transmet aujourd’hui son précieux savoir. Aux amateurs, il réserve des « après-midis Cacoa ». Via l’Ecole du Grand Chocolat, créée par la marque Valrhona, il enseigne aux professionnels venus du monde entier, à Tain-l’Hermitage. Se déplace, aux quatre coins du monde. Lui qui a « horreur des concours », adore se mettre en danger dans des démonstrations de haut vol. « J’aime les défis, confie-t-il avec simplicité, j’aime les choses (et les gens) différents ». Pour les J.O de Turin, il s’amuse avec ses confrères italiens à façonner hockeyeurs et autres skieurs. A Stuttgart, pour la coupe du monde de foot, il crée joueurs ou bavarois accoquinés d‘une chope de bière.
En Asie, « où l’on n’a pas droit à l’échec », Luc Eyriey officie en Corée, au Japon. Du légendaire Raffles Hôtel de Singapour à l’époustouflant Park Hayatt de Séoul où il a créé la carte des desserts, il intervient dans les hauts lieux du prestige. Certaines de ses créations ont même rejoint le musée d’art contemporain de Tokyo : présenté la Tokyo Designer Box 2005, Luc Eyriey a créé un univers où tout, jusqu’aux kakemono -ces grandes bannières japonaises- était chocolat. Table, chaises grandeur nature, scénettes où le policier verbalise, où le paysan arpente la rizière…son travail a surpris et séduit. Lui pour qui la qualité principale d’une personne est « l’amabilité » s’est épris de la culture japonaise : il en apprécie l’esthétique, le zen, apprécie la rigueur dans le travail et célèbre l’absence d’ego : « Même dans les plus grands concours, on ne les voit jamais parader », confirme-t-il.
Ces succès ne l’empêchent pas de saluer par leur nom les fidèles clients qui passent la porte de sa boutique embrunaise. « Je suis resté un minot, confie-t-il. Je m’émerveille de tout. Aller dans de tels pays, pour un pâtissier d’Embrun… Je ne m’en lasse pas ». Et quand Noël arrive, le « minot » transfigure le chocolat. Qui devient sapin à spirales, cerf, biche, bûches multicolores. Dans son atelier se lève tout un peuple de lutins, de dragons et de fées qui s’agitent derrière la vitrine. Irrésistible.
· Un hors-texte de 1 200 signes
Reconnaître un “bon chocolat”, une histoire de « nez »… 1500 s
Comme les grands vins, les qualités du chocolat différent selon ses origines. Produit aux Caraïbes, il a des arômes légers et fleuris. Venu de l’Océan Indien, il est typé fruits rouges, comme le Beaujolais. A Trinidad, il est camphré, long en bouche. Au Vénézuela, on trouve un trésor, le Porcelana del Pedregal, cacao d’altitude aux arômes grillés prononcés.
Pour bien choisir son chocolat, il faut moins s’attacher au pourcentage de cacao - un leurre, selon le maître artisan -, qu’à l’origine des fèves. On privilégiera les 30 % de la production mondiale arrivant d’Amérique Centrale, des Caraïbes et de l’Océan Indien aux 70 % restant venant d’Afrique.
Autre point essentiel : veiller à ce que le chocolat soit à 100 % fabriqué au beurre de cacao. Depuis 2003, la France a elle aussi autorisé l’introduction de 5 % de matières de substitution dans sa composition. Le beurre de cacao - pourtant bourré de vertus - a en effet deux vilains défauts : il fond et blanchit dès 34,5 °, et il est cher. Lors de la 2d guerre mondiale, les américains le remplacent par de l’huile de palme, qui comme le beurre de karité, ne fond qu’à 80 °. Bien que dénués de vertus, ces produits sont de 10 à 100 fois moins cher que le beurre de cacao. Imparable.
Le lobby du chocolat, le 2d plus important dernière celui du pétrole, s’est évidemment empressé de communiquer sur la teneur en cacao, qui en réalité ne vaut pas grand chose dans le chocolat.
La chimie peut aussi faire des miracles d’illusions : le sorbitol, par exemple donne la sensation de froid…
Hors-texte 2
La tragique histoire du Chocolat (2000 s)
« Le chocolat, c’est d’abord une histoire tragique », tranche le maître. Originaire d’Amérique Centrale, cette boisson sacrée réservée à l’Empereur et sa cour, permettait, dit-on, d’entrer en communication avec les dieux. LesAztèques l’utilisaient comme monnaie. La fameuse légende du Serpent à plumes raconte que le grand prêtre chargé de garder une sorte d’Eden rempli de fèves qu’il était interdit de manger, céda à la tentation et se fit chasser par les dieux. C’est l’année du roseau et avant de fuir sur un radeau de serpents entrelacés, il menace de revenir se venger. L’année du roseau devient une année maudite. L’anecdote pourrait s’arrêter là si elle n’avait pas contribué, plusieurs siècles plus tard, à faire basculer l’histoire d’un continent : En 1519, Cortés touche les côtes du Mexique. C’est l’année du roseau. Bardés de plumes et d’acier, barbus, montés sur des chevaux, armés de canons, les Aztèques voient dans ces étranges visiteurs le retour tant redouté du Serpent à plumes. 250 espagnols vont ainsi effrayer 35 millions d’indiens et en moins de 50 ans, les Aztèques seront réduits à 5 millions d’âmes et les Espagnols, maîtres de la production chocolatière.
D’Espagne, le chocolat arrive en France en 1619 alors que Louis XIII épouse la fille du roi d’Espagne. Anne d’Autriche, épouse de Louis XIV, adorait le chocolat chaud, comme Mme de Pompadour, maîtresse du roi, qui l’encourage à consommer ce Stimulant de Vénus. Le sulfureux produit passe dans la rue où on le consomme dans des débits. Mais le produit est jugé satanique et à cause de lui, l’Eglise va excommunier à tour de bras. Au siècle des Lumières, on le rendit responsable des idées nouvelles qui fleurissaient. Napoléon passait, dit-on, ses nominations dans des boites de chocolat… Avec le XXe siècle, s’est ouvert l’ère de la fabrication industrielle et l’avènement des Nestlé, Suchard et autres Van Houten. En 2000, avec 3,5 millions de tonnes, on produit 10 fois plus de chocolat qu’en 1900. En un siècle, la production a été multipliée par 10…
“Repères”
630 s /600 s
Pâtisserie-chocolaterie Eyriey
Luc Eyriey. Maître artisan chocolatier.
Place Barthelon. 05200 Embrun. Tél. 04 92 43 01 37
Après-midis Cacao et Petit Musée du Grand Chocolat
Plusieurs fois par mois, Luc Eyriey organise dans sa boutique des « Après-midi Cacao » : botanique, modes de fabrication, dégustation de grands crus mais aussi histoire, économie ou chocolat à l’ancienne si prisé par La Pompadour… Vous saurez tout sur le -bon- chocolat.
Dans la boutique, le Petit Musée du Grand Chocolat se visite librement toute l'année.
Renseignements à la boutique ou à l’Office de Tourisme d’Embrun. Tél. 04 92 43 72 72
© Corinne Bruno