Destinés à briller en société, ces petits arbres pointus sont l'essence même de Noël. Élevés en pouponnière, les sapins sont aujourd'hui des arbres domestiqués qui se plaisent dans les champs de culture du Champsaur. Une filière bien rodée par les pépinières Robin.
Il y a d'abord l'odeur suave de la résine. Les bruits étouffés par la forêt d'aiguilles. Les silhouettes amicales d'astrologues au chapeau pointu. Mais soudain les rugissements de la tronçonneuse viennent troubler ce calme ouaté. La lame s'attaque au tronc, et trop vite, l'arbre s'affaisse. Le géant est à terre. C'est toujours triste un arbre qui tombe. Mais c'est leur destin : « Nous sommes sur un champ de culture et ces sapins ne sont pas destinés à devenir des forêts », rassure Christine Robin, directrice adjointe des pépinières Robin. Installés à Saint-Laurent-du-Cros depuis 1948, les Robin sont leaders sur le marché du sapin de Noël régional : pas moins de cent mille unités quittent leurs entrepôts chaque année. Aujourd'hui, on ne coupe plus les sapins dans les forêts, mais dans des cultures spécifiques qui répondent à des règles de gestion très contrôlées. Les Robin exploitent ainsi dans le Champsaur quelques 115 hectares de champs de culture.
« Les graines sont mises en terre au printemps après pré-germination, explique la pépiniériste. Trois replantages successifs seront ensuite nécessaires avant que le sapin rejoigne le champ où ils atteindront la taille désirée ». Cette taille s'échelonne entre 0,60 à 18 mètres pour les plus grands. Il faudra attendre au minimum 10 ans pour que l'arbre atteigne une taille suffisante pour rejoindre les étals des magasins. Douze ans pour obtenir un sapin d'1,5 mètre. Les plus grands spécimens resteront jusqu'à trente ans en pleine terre.
Le début de la coupe et de l'expédition ont immuablement lieu à La Toussaint : « On fournit d'abord les mairies et les institutions qui ont de gros décors, puis les jardineries. Comme les œufs de Pâques, les sapins doivent être exposés en magasin très tôt dans la saison », souligne Christine Robin. Ancrée dans la qualité, la pépinière cultive principalement de l'épicéa commun et du Nordmann. Le premier durera environ quinze jours, le second résistera un mois dans votre salon.
Le sapin du troisième millénaire
Depuis son apparition vers le XVe siècle, le sapin de Noël a beaucoup évolué. Pour que l'illusion de Noël soit complète, on le propose aujourd'hui floqué ou glacé. « Cela permet de mettre en scène la neige dans des pays où il ne neige jamais », explique la professionnelle. Et cela rallonge également la vie du sapin qui, ainsi traité, tiendra facilement trois mois. Le flocage s'effectue dans les chambres froides de l'entreprise transformées pour l'occasion en chambres de flocage éphémères. De grandes tentures blanches sur les murs, des silhouettes claires portant combinaison et masque blancs. A l'aide d'un pistolet, les employés projettent de la colle à bois puis des fibres de coton sur les arbres. Ils renouvellent l'opération jusqu'à donner au feuillage l'aspect duveteux de la neige. La proposition, qui existe depuis environ huit ans, a reçu un accueil favorable auprès de la clientèle. Les Robin ont donc fait évoluer le concept et inventé un procédé plus abouti, le glaçage. Cette technique permet de donner au sapin -d'ailleurs baptisé « Diamant » - un aspect scintillant, pailleté, d'un blanc plus lumineux et beaucoup plus fin qui évoque le givre au petit matin . « Il nous a fallu pas mal de recherches pour obtenir ce résultat, confie Christine Robin, et le procédé est protégé. Nos employés sont tenus par une clause de confidentialité ». On murmure que c'est dans la composition de la colle et dans la façon de l'appliquer que réside le secret. Mais on ne cherchera pas plus loin : à Noël, tous les secrets doivent être gardés. C'est ainsi, que depuis des siècles, la magie peut renaître.
© Corinne Bruno
Guillaume Appolinaire les décrivait :
"Les sapins en bonnets pointus
De longues robes revêtus
Comme des astrologues"